Les effectifs de l'Outarde canepetière sont en déclin depuis une trentaine d'années en France, particulièrement pour les populations du Centre-Ouest. Afin de comprendre la dynamique de population et les exigences écologiques de l'espèce, le groupement d’animation du site Natura 2000 de Chabris et l’Office français de la biodiversité (OFB), ont bagué et équipé de balises GPS un mâle et une femelle Outarde.
Caractéristique des milieux agricoles, l’Outarde canepetière (Tetrax tetrax) bénéficie d’un statut de conservation défavorable. Elle est « en danger critique » (CR) en Centre-Val de Loire, sur la liste rouge de l'Union Internationale pour la Conservation de la Nature (UICN).
Les outardes présentes sur le site de Chabris n’échappent pas à la tendance nationale observée ces dernières décennies. La population est en effet passée d’une quinzaine de mâles chanteurs en 1995, à deux en 2022.
Fort de ce constat, une Zone de Protection Spéciale (ZPS) a d’abord été créée en 2004 sous proposition des acteurs du territoire, tous conscients du caractère emblématique de l’Outarde sur le plateau de Chabris. Ainsi intégrée au réseau de sites européens Natura 2000, la Communauté de Communes Chabris-Pays de Bazelle a été désignée maître d'ouvrage de l'animation, et a pour cela mandaté Biotope, Indre Nature et la Chambre d'Agriculture de l'Indre.
Dans le cadre d’une dynamique régionale portée par la Direction Régionale de l’Environnement, de l’Aménagement et du Logement (DREAL) et le Conservatoire d’espaces naturels (Cen) du Centre-Val-de-Loire, animateur du Plan Régional d’Action (PRA) en faveur de l’espèce, de nouveaux projets émergent, destinés à renforcer l’efficience de la politique de conservation. Étroitement lié à l'animation Natura 2000, le suivi à distance des derniers oiseaux du site permettra de mieux connaître leurs préférences écologiques (parcelle privilégiée, végétation présente, insectes présents...). Couramment utilisé sur l'avifaune, cet outil offrira un suivi spatial et en continu.
oiseaux bagués
kilomètres parcourus par les oiseaux pour rejoindre leur lieu d'hivernage
Au regard de la situation précaire de l'espèce sur site, différents échanges dans le cadre du PRA Outarde, déclinaison régionale du Plan National d'Action (PNA), ont permis de mettre en relation des acteurs qui ont amené leur propre expérience sur l'espèce. Depuis longtemps, une réponse est recherchée quant à la raison du déclin observé, mais il était urgent d'accumuler des connaissances plus précises sur les oiseaux du site.
C'est ainsi que la méthodologie de la capture a été présentée par l'Office français de la biodiversité (OFB), doublée d'une explication au plus près des acteurs du site lors du Comité Technique Local (CTL) du site Natura 2000. Ce premier point d'information a permis d'informer les agriculteurs et propriétaires, qui sont les premiers concernés par la présence d'un oiseau sur leur parcelle.
Les participants au PRA étant déjà en contact par leur missions respectives, les propositions pour préciser le protocole et apporter une aide matérielle ne manquaient pas. Deux réunions techniques et des prospections plus poussées ont permis d'observer le comportement des Outardes pressenties juste avant la capture. En pratique, le jour du baguage, il a été convenu que l'OFB et Indre Nature constitueront le binôme qui manipulera les oiseaux.
Ce qui est facilitant sur le site de Chabris est le fait que les Outardes présentes regagnent chaque année la même parcelle depuis une dizaine d'années maintenant ! Ainsi l'agriculteur qui contractualise en Mesures Agroenvironnementales et Climatiques (MAEC) connaît bien l'enjeu et travaille de concert avec le groupe d'animation. Il a été prévenu le jour même de la capture.
En pratique, les oiseaux arrivent aux alentours de la troisième semaine de mars ou début avril, en lune claire. Le temps de capture est limité à 20 minutes pour la manipulation, puis le relâché est immédiat.
Il a été décidé qu'un mâle et une femelle seraient bagués. Sur chacun d'entre eux, deux bagues ont été placées sur les pattes, ainsi qu'une balise GPS équipée d'un petit panneau solaire; cette dernière sur le dos de l'oiseau, attachée par un harnais. Des mesures de poids, de taille et d'état général ont également été réalisées. L'opération est minutieuse et demande de l'organisation, elle est effectuée par un bagueur assermenté.
Les balises, d'une dizaine de grammes chacune, permettent de relever une position toutes les minutes de jours, et une toutes les 5 minutes de nuit. Cet ensemble d'informations est ensuite récupérable toutes les 12 heures.
Un temps d'animation Natura 2000 est prévu annuellement pour le suivi de ces oiseaux bagués en plus des inventaires de routine. Par ailleurs, Indre Nature voit chaque année l'arrivée d'un stagiaire, qui en 2022 a orienté son sujet sur l'analyse télémétrique de l'avifaune. A ce titre, les Outardes et une autre espèce de plaine agricole, l'Oedicnème criard, ont fait partie de son rapport.
Les balises permettront de connaître précisément les parcelles utilisées pour l'alimentation, la nidification, l'élevage des jeunes et les rassemblements post-nuptiaux (après reproduction). L'intérêt est aussi de savoir quelles seront les routes migratoires empruntées et les zones d'hivernage des individus sur le site. Un parallèle avec les pratiques agricoles permettra d'échanger avec les exploitant·e·s sur leurs modes de gestion et leur vision des enjeux biodiversité-agriculture.
Une analyse factuelle des données est présentée à chaque CTL afin que les animateurs puissent ajuster au mieux les MAEC et autres mesures en place en fonction de la localisation des oiseaux. Les élu·e·s ont également été informé·e·s, notamment lors du comité de pilotage du site, et un relais local est attendu pour que le territoire se réapproprie le contexte et les avancées du travail.
À une échelle macro, les résultats seront à terme exploités dans le cadre d'un programme de recherche du Centre d'Etudes Biologiques de Chizé (CNRS). En effet, que ce soit dans ou en dehors du Centre-Val de Loire, des échanges entre ZPS s'effectuent et participent à la dynamique globale de la population de l'Outarde.
Un communiqué de presse sous forme de bilan 2022 a été diffusé par la DREAL en début d'année à destination des revues naturalistes et de la presse quotidienne. La Nouvelle République a publié un article à ce sujet le 15 février dernier et France Bleu Berry a interviewé la DREAL pour une diffusion le 26 février.
Des échanges réguliers avec les agriculteurs et agricultrices sont bien entendu maintenus afin de faciliter l'accès aux parcelles pour poursuivre l'étude, voire protéger les nichées.
Les premières observations montrent une fidélité marquée par les individus pour les parcelles contractualisées en MAEC. Plus de 80 % de l'utilisation de l'espace du mâle et de la femelle se fait sur ces zones. Les prairies permanentes sont un peu explorées, et ils ne s'attardent pas sur les monocultures.
On peut remarquer une attache très forte plus localement encore. Depuis de nombreuses années, le mâle fréquente en effet la même parcelle de 18 ha dès son retour de migration où il entreprend de parader pour y attirer une femelle. Il s'y reproduira et y restera jusqu'au mois de juin en ne s'aventurant qu'occasionnellement sur des parcelles voisines. La présence d'une autre femelle et d'un mâle dit "satellite" (non chanteur) peut en être l'explication.
Ce suivi à distance a également permis de mettre en évidence l'utilisation d'une parcelle plus à l'Est, connue pour être le bastion historique des places de chant des mâles (des femelles y ont aussi été vues par le passé). De même, son cantonnement précisément en bordure laisse penser que le reste du champ ne lui était pas favorable. Un inventaire botanique a révélé au mois de juillet une densité élevé de graminées hautes ainsi qu'une litière épaisse qui l'a possiblement empêché de circuler.
Autre élément : l'étude de Gonzalez del Portillo et al. (2021) montrent que les bordures enherbées possèdent une grande diversité d'orthoptères (grillons, sauterelles...), ressource alimentaire clé pour les outardes notamment en période de reproduction.
Les deux oiseaux bagués se sont donc reproduits, malheureusement la nichée n'a pas abouti. La femelle reste dans la parcelle de prédilection du couple à partir du 28 mai pour nidifier, mais les données montrent qu'elle est partie précipitamment le 19 juin à l'Est, où le mâle est également allé. Ce départ à plusieurs centaines de mètres en volant confirme qu'aucun jeune n'ait pu la suivre. L'hypothèse d'une prédation après éclosion est évoquée, et une prospection de terrain peu de temps après a mis en évidence 4 coquilles vides, sans trace de jeune vivant.
Les outardes de la ZPS démontrent une grande capacité de dispersion au-delà du site Natura 2000. En réponse à l'échec de reproduction ou en amont d'une migration, on observe des trajets de 60 km au Nord, vers Blois, en ce qui concerne la femelle par exemple. Cela va dans le sens d'observations antérieures : par exemple un mâle capturé dans l’Indre a déjà été retrouvé au cours de la même saison dans les Deux Sèvres (Lett, 1999).
Partis dans la troisième semaine de septembre, ils atteignent leurs quartiers d'hiver à la mi-octobre au Sud de Madrid pour le mâle; et plus à l'Ouest, proche de la frontière portugaise pour la femelle. Les lieux d'hivernage sont importants pour comprendre la dynamique d'une population reproductrice. De nombreux facteurs interviennent pendant le trajet qui n'est pas sans risque : collisions avec lignes électriques, véhicules..
On remarque également une évolution des milieux qui accueillent les hivernants ces dernières années. Comme dans nos territoires, la surface d'habitat propice aux Outardes a diminué en Espagne. Tout cela peut avoir une influence sur le nombre d'oiseaux qui parviennent à revenir lors de la reproduction. Si on y ajoute l'interdépendance entre différents noyaux (c'est-à-dire les échanges d'individus d'un groupe d'oiseaux à l'autre dans une région donnée), il est probable que certains s'éteignent ou du moins se maintiennent moins que d'autres.
Même s'il n'y a plus de rassemblements post-nuptiaux à proprement parler depuis 2019, certains comportements montrent des signes encourageants. Après reproduction, mâle et femelle se sont tout de même retrouvés sur des zones historiques de rassemblement, au Sud de la ZPS, non loin de Parpeçay. En l'absence d'autres individus, ils ne sont pas restés bien longtemps et la femelle a pris la direction de la Vienne pour rejoindre d'autres groupes prêts à partir en migration.
Une lune noire est privilégiée pour mettre en place la capture, soit 15 jours après l'arrivée des oiseaux. La présence de pluie peut être un plus. En effet, il s'agit de parvenir jusqu'à l'Outarde le plus discrètement possible afin d'éviter son envol.
La Chambre d'Agriculture se charge ensuite d'avertir officiellement les exploitant·e·s de la zone par courrier, surtout s'il s'avère que l'oiseau se trouve dans une parcelle où il n'y a pas de mesures agro-environnementales ou si une fauche était prévue.
Les combinaisons actuelles de MAEC ont un rôle d'attractivité indéniable pour les Outardes, leur offrant un habitat favorable durant leur période de nidification. L'alternance de bandes travaillées ou non au sein d'une même parcelle selon les années permet également de créer une mosaïque de milieux, à la fois pour les exigences de la femelle et du mâle. L'idée serait d'étendre les surfaces contractualisées, tout en veillant à trouver un équilibre. En effet, une question revient souvent ces dernières années : faut-il concentrer les efforts sur le noyau dur en augmentant les engagements, ou les déployer sur l'ensemble de la ZPS, quitte à englober des zones où l'Outarde n'y est plus depuis longtemps ?
Il pourra être intéressant de faire en sorte que la diversité des stades et des espèces végétales bénéficie directement aux oiseaux dès leur retour de migration au printemps. Les futures données GPS nous permettront de savoir quels endroits sont désertés dès le début de la reproduction, et couplées à des relevés botaniques et entomologiques, d'établir un profil de zone idéale.
Dans tous les cas, il sera nécessaire de garder la confiance des agriculteurs et agricultrices, sans mettre de côté les réflexions sur des évolutions logiques des cahiers des charges de ces MAEC. Leur contenu n'est pas immuable et fait l'objet de réunions en fonction du précédent cultural, de la météo, de l'arrivée des oiseaux, paramètres variables chaque année. On peut imaginer de systématiser la fauche avec exportation sur les champs en contrats, mais restera la nécessité d'y trouver un débouché. L'avantage est d'éviter un effet de mulching sur le sol, qui peut favoriser l'installation d'espèces pionnières au détriment des légumineuses et d'une diversité végétale favorable à l'Outarde.
À l'avenir, l'étude pourra être étendue à d'autres ZPS du Centre-Val de Loire et servira de base si des projets de renforcement de populations voient le jour. En effet, si l'on parvient à capitaliser sur la fidélité des oiseaux au site et le choix des parcelles durant les différents stades de leur cycle de vie, le relâché d'individus sera plus efficace et pertinent sur le long terme. Le comité scientifique du PNA Outarde a d'ailleurs validé en partie la demande du groupement d'animation et de la Comcom Chabris-Pays-de-Bazelle.
D'autres pré-requis sont nécessaires et des échanges sont en cours notamment sur le sujet de l'élevage conservatoire et du protocole de relâché.
Outarde canepetière © Annick BOMPAYS
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